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Traversées

(extrait)

David

Mais la coque plastique vient de frapper un long corps flottant, presque immergé entre deux eaux.
Sur l’impact il roule sur lui-même. C’est un tronc, un balaize qui traçait sa route vers l’océan.
Le choc est sérieux. David devine déjà les dégâts.
L’eau suinte d’une faille. Ce n’est pas une brèche mais deux fissures sur quinze centimètres qui laissent passer à bâbord un peu du Grand Estuaire.
Il a vite intuité que les solutions sont rares dans ces instants-là.
Le kit réparation n’est pas à bord, rien pour faire un dépannage sommaire.
D’un coup d’œil, les rives sont quasiment à égale distance du point critique.
Le plan retour au port d’attache avec écopage assidu est enclenché dans la seconde.
Le gros bois mort grimpe encore le long du canot pendant le virement.
C’est un retardataire des orages récents. Un comme David, qui a pris son temps pour partir.
Mauvaise passe…
Il s’ensuivit une kyrielle de petits gestes approximatifs qui faillirent bien lui valoir une bien grosse frayeur.
L’énorme rondin, plus long que l’embarcation, tapait tantôt à l’avant, tantôt à l’arrière, sur la coque plastique.
Il y avait des moignons de branches qui griffaient, de même, la peinture blanche du flanc tribord.
Et puis, un autre de ces moignons, faisait son œuvre sous-marine.
Celui-là ne raya pas tellement la surface immergée.
Il fit son trou, une faille dans l’eau trouble, lui laissant l’espace nécessaire pour inonder prestement le pont.
Pensant bien faire, il lâcha le moteur et lança le bateau vers la côte proche, celle du Médoc à quelques encablures
L’idée était mauvaise… ou presque.
La pointe acérée du bois flotté, coincé dans l’entaille invisible, avec l’inertie de la masse inerte, ouvrit davantage la faille relative.
L’eau brune s’engouffra encore.
Les pieds dans la boue, David persista dans son erreur, emportant avec lui le gros et dangereux flotteur



Son arrivée à Port By n’avait pas dérangé la foule des curieux.
Son accident, assez majeur, qui mine de rien aurait pu entraîner une mort d’homme, passait inaperçu des Médocains et du monde en général.
Ecoper, écoper, il en restera toujours quelque chose.
David en était la preuve vivante et harassée.
Il avait vidé le fleuve de son canot. Du moins en eut-il la sensation quand il s’écroula épuisé sur le plan incliné du quai herbeux.
La lourde embarcation, gonflée d’eau, était maintenant arrimée au vieil anneau rouillé oublié à fleur de marée.
Au moment de l’impact, il se trouvait encore à bonne distance d’ici.
Avec la dérive due au vent le port de Goulée semblait plus proche et accessible mais… le banc de Richard, à cette heure, très marqué sur l’eau… l’en avait dissuadé.
La marée étalait, il préféra chercher l’accès à Port By.
Le lieu était désert, pas le moindre bateau dans cet havre désuet, ni même un seul touriste repu sur la berge à pique-nique comme cela arrivait parfois certains mois de l’année de ce côté de l’estuaire, comme une mise au vert, après les visites des caves voisines des grands crus du Médoc.
Le nez dans le feuillage et les yeux qui cillent sous l’effet d’un soleil intermittent entre les nuages, il se laisse doucement couler dans la douceur de l’air, loin des dangers récents.
Il lui revient la vision fugace de l’autre jour.
Elle est blonde cette silhouette.
Elle est menue aussi.
Elle a l’âge d’un souvenir… 16 ans, 17 ans peut-être.
A-t-elle seulement 15 ans ?
C’est quoi cette sensation ?
Est-ce un… sentiment ?
Est-ce absurde de penser cela ?
Peut-il s’y soumettre ? L’admettre ?
Il y a des questions qui tombent sous le sens. Pas les réponses, pas toujours.
David se connaît assez pour savoir que s’il a un bel instinct pour les questions, comme une intelligence dédiée à cela, c’est nettement moins flagrant pour ce qui concerne les explications.

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