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La vie parisienne de Firmain Malo Belay

(extrait)

Chapitre 3
Panache et idée fixe
 
Malo a deux métiers, plus exactement il exerce deux professions distinctes dont le moindre point commun reste encore à découvrir.
Comment et pourquoi devient-on un jour imprimeur ou gendarme, inspecteur des permis ou professeur des écoles ?
Quels gènes mais aussi quelles gênes participent à nos parcours professionnels, à ces aventures de vie qui marquent au fer rouge notre chair d’homo laborius ?
Malo a deux métiers mais pas tant de plans de carrière.
Il est le maillon d’une chaîne qui projette ses ancres dans les sables profonds des hasards incommensurables.
Le déterminisme de Malo est fait de ces jeux de circonstances, le choix de son destin s’est construit autour de ces aléas et d’une idée fixe « Sortir de l’ornière et de la fosse à lisier ».
Le p’tit Firmin y pensait déjà à sa façon, quand il voyait son père, cantonnier au bois de Vincennes, partir avant l’aube pour trimer jusqu’au soir.
Il y pensa davantage encore lorsqu’on retrouva le corps de ce dernier enfoui sous la fange d’un lisier municipal.
Si le destin le mène par le bout du nez, son idée fixe, il l’a chevillée au corps.
Sur le râble en permanence, elle le tient droit et l’incite à suivre la trajectoire mentale qu’elle trace pour lui.
Ensemble, ils poursuivent leur chemin vers un devenir meilleur, autant que faire se peut, le plus loin possible de la désespérance.
Comme Malo le dit parfois « A cheminer dans la vie nous laissons derrière nous des panaches de fumée. »
Et le panache, il n’en manque pas pour mener à bien et de front les tâches singulières de ses professions.
Malo a deux métiers, référencés dans les Divers sur les registres de l’INSEE.

Il y a toujours un blanc, puis des incertitudes quand il précise « chasublier » au fonctionnaire de la Sécu qui l’attend derrière son comptoir.
Le monsieur 1°) le regarde avec de grands yeux ronds et un ? dans la rétine, 2°) lui demande de répéter, 3°) lui redemande de répéter, 4°) lui fait épeler, mi-las, mi-exaspéré par ce qu’il prend pour un néologisme.
Souvent, pour éclairer sa lanterne, il récite la définition du dictionnaire.
Chasublier : substantif masculin.
a) personne qui fabrique, vend des chasubles, des ornements d'église, des objets sacrés.
b) armoire d'une sacristie, dans laquelle on range les chasubles.
Il lui arrive aussi, quand le monsieur de l’accueil est une dame, de détailler le contexte.
Chasublier, c’est un beau métier qui ne date pas d’hier, on visite le paysage et la plupart des maisons à bon dieu, et même s’il faut des moufles quand c’est l’hiver en décembre, le côté mi- ombre, mi-soleil au guidon de la Flandria, c’est salutaire pour la santé.
Une fois un matin, les numéros 268, 269, 270, 271, 272, 273…, qui patientaient après lui dans le hall, ont dû revenir l’après midi tellement Malo avait développé sur le sujet, tellement aussi l’hôtesse était jolie.
Il avait commencé à lui raconter ses pérégrinations parisiennes, à lui expliquer comment il manœuvrait en ville avec la remorque au cul de la moto, pleine de la quincaillerie utile à son petit commerce.
L’hôtesse, à midi pétante, lui avait coupé le sifflet.
Deux heures plus tard, le numéro 267 revenait au comptoir de la Sécu pour finir de compléter son dossier.
Malo a deux métiers, le second c’est un secret ou pour le moins une discrétion, une réserve.
C’est plus alimentaire aussi, même si cette activité, un tantinet clandestine, lui procure maintes émotions variées hors des sentiers battus des sempiternelles et besogneuses missions d’intérim proposées dans les vitrines des marchands de viande de la capitale.

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